Haute Couture Automne-Hiver 2024/25

« Cézanne a commencé par tous les tours de passe-passe de la technique, puis il a tout démoli pour construire son œuvre. C’est ce qu’il y a de plus difficile à faire ».

— Ernest Hemingway

En mars 1932, la réputation d’Elsa Schiaparelli n’était plus à faire : entrepreneuse versatile, elle brouillait les frontières entre la mode et l’art, entre la vie et l’art. Glorieuse énigme, elle était (selon les différentes personnes interrogées) tantôt insaisissable tantôt scandaleuse, choquante par sa liberté, son absence d’inhibition et son apparente incapacité à se soucier des conventions. Comme le disait d’elle son ami intime Salvador Dalí, « personne ne sait comment dire Schiaparelli, mais tout le monde sait ce que cela veut dire ».

Neuf ans plus tard, pour le gala d’ouverture du restaurant les Ambassadeurs à Paris, Schiaparelli porte une robe au motif trompe l’œil peint à la main par Jean Dunand, avec une étole en plumes de coq judicieusement enroulée autour de ses épaules. C’est un hommage à la grande ballerine Anna Pavlova, décédée la même année, et avec laquelle, avec ses cheveux noirs et courts et ses traits acérés, Schiaparelli a souvent été confondue. Mais si Anna Pavlova était associée au « Cygne Mourant » de sa performance emblématique, Elsa Schiaparelli tenait, quant à elle, davantage du Phœnix, une créature magique dont le pouvoir réside dans sa capacité à faire renaître sans cesse, non seulement son propre corps, mais aussi ses créations.

Le contexte de cette collection, qui honore le don singulier d’Elsa pour la renaissance, n’a d’égal que sa forme. Chaque pièce est claire dans sa silhouette et sa technique : on peut y déceler les origines de chaque look, comment chacun est passé du croquis à l’étude puis au tissu. De même, chaque look doit susciter une certaine émotion, même si, pour paraphraser Hemingway, il s’agit d’une émotion profondément contrôlée. Chaque robe, chaque bustier, chaque soulier, chaque plume de velours pliée ou chaque triple pointe d’organza cherche à attirer l’oeil et à le retenir. La direction artistique de la collection a, elle aussi, pour but d’arrêter le regard mais aussi, dans une certaine mesure, de mystifier, de ne pas révéler tous ses secrets.

Elle est le reflet de l’univers en constante expansion de la Maison Schiaparelli. On m’a dit récemment que « les gens n’achètent pas du Schiaparelli, ils le collectionnent ». Une telle dévotion ne peut être inspirée que par une relation unique entre le client et la création. C’est ce qui fait la spécificité de la Haute Couture : c’est l’expression de ma vision de la Maison d’aujourd’hui, libérée du marketing et du merchandising. Mais c’est aussi autre chose : une façon pour moi d’honorer cette relation, l’une des plus intimes au monde, celle par laquelle je donne aux femmes le pouvoir de renaître, encore et encore et encore.

Daniel Roseberry